Janvier

Le 8 janvier 1997
Ma Sandre,
Le papier n’est pas de première fraîcheur, mais il ne me reste plus que cela dans mon gros cartable noir. A Laon, au café, en attendant Karl ou le Tchou-Tchou, mes pensées filent vers toi.
Ma première nuit rue Mouffetard, dans mon nouveau nid, s’est bien passée. J’ai pu tout ranger hier soir. Le quartier est vraiment agréable : je te le ferai découvrir après l’avoir parcouru en solitaire.
Le pied à terre ne manque de rien, et le grand lit attend tes ondulations sirènéennes. Je peux enfin t’accueillir dans des conditions potables, c’était inespéré.
Mon pater m’a offert le livre de Denis Robert, La Justice ou le chaos, succès de librairie, dénonciation par des membres du corps judiciaire des graves tares de ce pouvoir en déliquescence. J’ai débuté cet ouvrage composé de plusieurs interviews et qui m’a l’air, sans esprit polémique a priori, une bonne initiation au fonctionnement de la suprématie du pouvoir exécutif sur la justice.
12h20. Je viens d’arriver. J’ai reçu ta jolie carte et tes mots doux... toujours aussi pudiques, hé hé. Une question : m’aimerais-tu malgré moi, c’est-à-dire de façon unilatérale, ou est-ce la réciprocité des sentiments qui développent les tiens ?
Donc je te fais des bisous, des câlins... mais rien de plus (clin d’œil).
Je t’enlace ma Sandre. Rejoins moi vite.
************

Le 9 janvier 1997.
[Carte de vœux.]
Ma Sandre,
L’amour nous lie, et son renforcement est la meilleure chose que je puisse nous souhaiter.
J’espère que nous saurons profiter intensément des instants partagés.
Je t’envoie mes plus tendres pensées et je te serre très fort.
Avec tout mon amour.
************


Le 15 janvier 1997.
Ma fée questionneuse,
Le lever de mes sentiments et de mes intentions... Heu, mauvais début. Je vais me contenter d’entrer dans le vif de tes interrogations.
Aïe ! j’ai oublié ta lettre à Paris. Je vais tenter de répondre à l’essentiel dont je me souviens. (J’écris comme un cochon, fond et forme.)
Mon bilan des neuf mois : très positif. Si nous joignons nos volontés, nous pouvons construire une très belle union. Sachons ne pas nous gâcher.
Sur notre prochaine réunion : mon travail dans l’édition m’est essentiel, d’autant plus par le caractère familial de l’entreprise. Si je ne trouve pas le moyen de le poursuivre, temporairement, à distance, il me sera très difficile de te rejoindre. Les temps sont terribles, tu le sais mieux que personne, et puis-je m’offrir le luxe d’abandonner une activité professionnelle ? Tu sais pourtant combien mon envie d’une existence quotidien­ne ensemble est forte.
Voilà mon principal souci de ces derniers temps. Si seuls comptaient les sentiments, je viendrais sans hésiter, mais les impératifs existentiels, que tu connais bien, s’immiscent, raison revenue. Rien n’est donc décidé pour moi, mais tôt ou un peu plus tard, nous nous retrouverons ma Sandre.
A te retrouver déjà dans mon nid. Tendres baisers.
************


Jeudi 16 janvier
Le week-end prochain, j’accueille ma Sandre dans mon nouveau nid parisien, au 24 rue Mouffetard.
Le réveillon de Noël s’est passé dans un relai-château de Vervins et non au Croisic, inaccessible suite aux chutes de neige. Seuls Hermione et son ami ont réussi à atteindre L’Océan.
Mon écriture est lamentable. Je me sens si peu inspiré. Jamais, je crois, je n’ai été aussi peu présent dans mon Journal, sauf en 93, je crois. Que les années défilent vite. Cela fait déjà cinq ans et demi que je le tiens. Qu’en restera-t-il ?
************

Le 17 janvier 1997.
Ma tendre Sandre,
Avant d’établir les ramifications charnelles de nos retrouvailles gourmandes, j’irrigue ma jeune carcasse des plus insoupçonnés désirs. Longue dérive poétique. Frôler l’inénarrable pour mieux saisir les effleurements furtifs. Je dérive ma douce, pour la confusion des sens et l’épanouissement du cortex.
Dans cette liste de l’antichambre :
[...]
Que tes paroles soient aussi expressives que tes cris.
Que tout ton corps prenne l’initiative, joue la provocation.
Que tes doigts, tes cheveux, la paume de tes mains, tes ongles caressent longuement mon dos, mes épaules, mes jambes...
[...]
Que tu m’aimes encore longtemps, à la folie.
Tendrement tiens.
************

Le 20 janvier 1997.
Ma douce adorée,
Ci-joint la lettre des voeux coquins que tu avais oubliée.
J’espère que ce dimanche t’aura rassuré sur notre rapport en public. Pour moi, cette journée (et ce week-end) a (ont) été un véritable bonheur.
Nous avons merveilleusement baptisé mon nouveau pied-à-terre.
Hâte de venir goûter à tes monts lyonnais, ma Sandre.
A te retrouver.
************

Le 22 janvier 1997.
Ma Sandre bénéfique,
Je file dans les paysages hivernaux. Impossible de retrouver le substantif attaché à l’adjectif farouche. Biaiser (attention deux i !) est la seule manière de s’en sortir : « ma légendaire nature farouche » par exemple.
Yamina, la jeune femme désespérée que j’ai rencontrée hier pour qu’elle collabore à notre activité, m’a passé Le Monde économique du 14/01 : un article sur l’ouvrage de Viviane Forrester, L’horreur économi­que, qui s’est déjà vendu à plus de 150 000 exemplaires, phénomène rare dans le secteur rébarbatif de l’écono­mie.
Sa thèse : nous vivons le temps de la fin du travail, et les économistes, les politiques nous ont trompé. Le sentiment d’impasse ressenti par une part croissante de la population se trouve ici conforté. S’achemine-t-on vers l’enlisement ou le chaos ?
Le tout-capitalisme apparaît aussi absurde que le tout-communisme. Reste à savoir si nous serons la génération actrice et victime d’un nouveau cycle de bain de sang...
Il ne fera alors pas bon être un politique, un technocrate, un juge, un journaliste ou un fonctionnaire. Aïe, vais-je finir en professeur écharpé ? Il est vrai qu’être assisté par l’Etat ne m’enchante pas vraiment. En revanche, diffuser la connaissance peut me passionner, et surtout pallier aux fragiles ressources engendrées par l’édition.
Un peu sérieux ma Sandre, mais je n’oublie pas de te serrer très fort contre moi.
A t’inonder d’amour.
************

Vendredi 24 janvier
Quel doux épanouissement ma relation avec Sandre. Nos conversations sur notre harmonie sexuelle ne s’embarrassent pas de réserves néfastes. La délicatesse n’est pourtant pas oubliée, mais sans s’égarer dans les méandres de l’inexprimé.
Il faut que je me botte le cortex pour rédiger mon étude préparatoire à la thèse. La sédimentation des réflexions devrait être assez avancée. Toujours sur la corde raide pour notre travail éditorial à l’OELH. Les problèmes d’argent sont plus que jamais présents. Nous devons (enfin !) recevoir le catalogue général de la collection MVVF, bouquin de 230 pages truffé des références des ouvrages que nous avons exhumés ou édités.
De l’angoisse d’écrire médiocrement. Surtout éviter de se répandre sans talent.
************
Le 24 janvier 1997.
Ma Sandre adorée,
Se laisser bercer par les souvenirs de nos tendres moments partagés. Je crois que nous sommes bien engagés pour nous apporter le meilleur de nous-mêmes.
Ton désir de progresser dans nos retrouvailles charnelles me comble, d’autant plus lorsque je constate notre déjà très présente harmonie.
Combien j’ai envie de t’éveiller au sens de l’initiative affective et sexuelle. Laisse s’exhaler tes penchants, tes élans divers.
Le week-end pointe son temps et dans sept jours, comme une récréation de notre amour-monde, je te rejoins dans ton nid.
De sulfureuses caresses, d’attentionnés bisous pour toi.
************

De la BN, le 27 janvier 1997.
Ma Sandre (choupinette !)
18h40. L’antre majestueuse de la BN est éclairée des quelques centaines de loupiotes à capuchon noir et vert. Je t’envoie mes plus tendres rapprochements avant de rejoindre ma vivante rue Mouffetard.
J’ai proposé à mon pater que l’on vienne manger chez lui le prochain dimanche où tu seras à Paris, le 16 février. Dis-moi si tu es d’accord. Mon petit frère Jim sera sans doute présent.
Je trouve nos rapports (de près ou de loin) de plus en plus complices. Serions-nous en voie d’approcher le bonheur mutuel ? L’art de donner le meilleur de nous-mêmes rendra peut-être le quotidien illuminant et non usant. Comment m’imagines-tu dans une quotidienneté avec toi ?
A nos liens innombrables.
************

Le 29 janvier 1997.
Ma Sandre qui m’est chère,
Heïm a été très touché par ton courrier, ainsi que Vanessa, et tout le monde t’apprécie beaucoup. Voilà un nouveau point positif pour que s’amenuise ta sauvagerie.
Quant à moi, tu connais mes sentiments. Le jeu subtil d’entretenir le désir de l’autre ne doit pas empêcher de laisser libre cours à l’expression de ses penchants.
Nous avons (enfin !) reçu La Touraine meurtrie et libérée de Jean Chauvin. J’essaierais d’en apporter un exemplaire, si je ne suis pas trop chargé. En revanche, un voyage risque d’être organisé en fin de semaine pour livrer les libraires. Mon arrivée vendredi soir est donc compromise... Je vais tout de même vérifier les correspondances sur Minitel.
De très gros bisous doux.
************

Mercredi 29 janvier
Big Média vient encore une fois de démontrer sa partialité pour traiter les cadavres. Jean-Edern Hallier flanche par un coup de pédale de trop : tintamarre médiatique...

Jeudi 30 janvier
Une véritable déliquescence de la plume ces temps-ci. Je voulais souligner la différence de traitement par Big Média de J.-E. Hallier et Louis Pauwels. Ce dernier est ravalé à un simple homme de presse.
Aparté : à Taratata, fabuleux duo de Stevie Wonder-Omar sur une chanson du génial aveugle aux mélodies enivrantes.
************

Le 30 janvier 1997.
Suivrais-je de peu ou précéderais-je ce courrier ma Sandre ? J’espère que nous profiterons intensément de ce nouveau week-end partagé.
Auras-tu préparé ta liste charnelle pour mon arrivée ?
Février pointe son premier jour, et je vais mettre le turbo pour la rédaction de mon travail universitaire.
L’émission de Cavada sur les médecins m’a marqué. Combien il faut de courage et d’abnégation pour parvenir à ses fins.
Louis Pauwels est mort, les médias n’en ont quasiment pas parlé (hormis Le Figaro, bien sûr !) alors que Jean-Edern Hallier a eu droit aux trompettes de la renommée. Curieuse sélection de Big Média. Injuste hiérarchie d’importance.
A notre amour.
************

Aucun commentaire: